Une jeune chercheuse en pharmaco-épidémiologie est primée

Portrait Manon Cairat - crédit photo : Clémence Losfeld

Crédit photo : Clémence Losfeld

Octobre 2023

Manon Cairat, aujourd’hui post-doctorante dans l’équipe Exposome et hérédité, est lauréate du prix « Jeunes Talents » du programme « Pour les Femmes et la Science » porté par la Fondation L’Oréal et l’UNESCO. Ce prix est l’occasion de promouvoir et de soutenir l’implication de jeunes femmes dans la recherche scientifique. Manon Cairat est récompensée pour ses travaux en pharmaco-épidémiologie, discipline qui cherche à mieux comprendre les effets secondaires, sur le long terme, des médicaments. C’est Irène Frachon, en révélant l’affaire du Mediator® en 2010, qui a déclenché sa vocation de chercheuse.

Travaux sur inflammation et risque de cancer du sein

Manon Cairat a soutenu sa thèse en 2020. Cette dernière a porté sur l’inflammation et le risque de cancer du sein, l’inflammation jouant vraisemblablement un rôle dans l’étiologie de ce cancer. En utilisant diverses bases de données nationales et internationales (dont les cohortes EPIC et E3N), Manon Cairat a étudié les liens entre la prise de médicaments ayant des propriétés anti-inflammatoires et le risque de cancer du sein. Elle s’est intéressée aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (type ibuprofène)[1] et à l’aspirine à faible dose[2]. Contrairement à ce qui était attendu, ces médicaments ciblant l’inflammation n’étaient pas de bons candidats pour la prévention du cancer du sein.

Recherches sur les effets potentiellement cancérigènes des glucocorticoïdes

Manon Cairat s’intéresse actuellement aux effets potentiellement cancérigènes des glucocorticoïdes (type cortisone). Ces médicaments sont généralement utilisés pour traiter des maladies allergiques, respiratoires ou rhumatologiques. Ils sont de puissants immunosuppresseurs qui pourraient favoriser l’échappement des cellules cancéreuses à la surveillance immunitaire. De plus, les glucocorticoïdes sont connus pour favoriser la résistance à l'insuline et le dysfonctionnement métabolique, ce qui pourrait entraîner un risque accru de plusieurs cancers.

Son objectif de recherche est d’apporter des éléments épidémiologiques fiables sur une éventuelle association entre l'utilisation de glucocorticoïdes et le risque de cancers.

Une première étude menée dans la cohorte E3N

En 2021, Manon Cairat a publié dans BMC Medicine la première étude épidémiologique évaluant l’impact des glucocorticoïdes sur le risque de cancer du sein en fonction du type de cancer du sein et de son stade.[3]

Les données sur la santé, sur le mode de vie et sur les médicaments remboursés sur une période de 10 ans de 62 000 femmes E3N ont été analysée. Les résultats de cette étude sont schématisés dans la figure ci-dessous et ont donné lieu à une vidéo disponible sur la chaine Youtube du CIRC/OMS.

Figure - Risque de cancer du sein associé à l’utilisation de glucocorticoïdes par rapport à l’absence d’utilisation
Figure - Risque de cancer du sein associé à l’utilisation de glucocorticoïdes par rapport à l’absence d’utilisation

 

Comparées aux femmes qui n’utilisaient pas de glucocorticoïdes, celles qui en avaient utilisé régulièrement ont développé davantage de cancer du sein in situ (stade 0), c’est-à-dire avec des cellules cancéreuses présentes uniquement dans le compartiment mammaire. En revanche, les utilisatrices ont moins développé de cancer du sein infiltrant de stade précoce (stades 1 et 2) mais elles avaient un risque plus élevé de se voir diagnostiquer un cancer du sein à un stade avancé voire qui avait déjà métastasé (stades 3 et 4).

Cette étude suggère donc que l’utilisation régulière de glucocorticoïdes pourrait freiner l’apparition de cancers du sein infiltrant, mais qu’en cas de cancer déjà présent, ils favoriseraient sa diffusion ainsi que l’apparition de métastases. Un effet ambivalent qu’il convient de confirmer dans d’autres études épidémiologiques et d’appuyer par des données expérimentales pour mieux comprendre les mécanismes impliqués.

Les glucocorticoïdes toujours à l’étude

Pour apporter de nouveaux éléments de réponse sur l’impact des glucocorticoïdes sur le risque de cancers, Manon Cairat coordonne un projet de recherche au Danemark.

Actuellement, elle utilise les données de six registres de population couvrant tous les résidents du Danemark afin d’évaluer les associations entre l’utilisation de glucocorticoïdes et les risques de cancer du sein. Cette étude danoise est la plus grande jamais réalisée, avec un suivi sur 17 ans et des données de prescription sur 23 ans, permettant une analyse détaillée par type et stade de cancer et par durée cumulée d'utilisation des glucocorticoïdes.

Manon Cairat a également prévu de poursuivre ses recherches sur l'effet des glucocorticoïdes sur le risque de cancers de la prostate, colorectal et de la peau dans diverses populations : danoise, anglaise et française.

De l’importance de la pharmaco-épidémiologie

En reproduisant ces études dans plusieurs sources de données et/ou populations, Manon Cairat escompte obtenir des preuves solides des effets des glucocorticoïdes sur le risque de cancers. Selon les résultats, des mesures spécifiques pourront être mises en place pour adapter les prescriptions, ou au contraire rassurer sur la sécurité de ces médicaments.

Elle espère que l’attribution de ce prix L’Oréal-UNESCO lui permettra de continuer à se former sur des méthodes avancées en épidémiologie et d’initier de nouvelles collaborations.


[1] Cairat M, Al Rahmoun M, Gunter MJ, Severi G, Dossus L, Fournier A. Use of nonsteroidal anti-inflammatory drugs and breast cancer risk in a prospective cohort of postmenopausal women. Breast Cancer Res. 2020;22(1):118.

[2] Cairat M, Al Rahmoun M, Gunter MJ, Severi G, Dossus L, Fournier A. Antiplatelet Drug Use and Breast Cancer Risk in a Prospective Cohort of Postmenopausal Women. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2021 Apr;30(4):643-652.

[3] Cairat M, Al Rahmoun M, Gunter MJ, Heudel PE, Severi G, Dossus L, Fournier A. Use of systemic glucocorticoids and risk of breast cancer in a prospective cohort of postmenopausal women. BMC Med. 2021; 19(1):186.

Prix L’Oréal-UNESCO « Jeunes Talents » destiné aux chercheuses